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L’amère mort des mercenaires d’Himère
Comme ses ennemies, la cité gréco-sicilienne d’Himère faisait appel à des mercenaires pour se défendre. Ses nécropoles révèlent que certains d’entre eux sont venus de très loin pour mourir sous le ciel méditerranéen.
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Au IIIesiècle avant notre ère, l’emploi de mercenaires par les Carthaginois dans la guerre contre Rome interrogeait les chroniqueurs. Bonne ou mauvaise idée? Pour autant, ce phénomène était ancien, puisque 250 ans avant les guerres romano-puniques, tant les Grecs que les Carthaginois, qui s’affrontaient en Sicile, en faisaient déjà un emploi massif. Autour de Laurie Reitsema, de l’université de Géorgie, aux États-Unis, une nombreuse équipe d’archéologues et de paléogénéticiens vient de l’illustrer en étudiant les gènes de 21 soldats enterrés dans des fosses communes du Vesiècle avant notre ère. Et voilà qu’il s’avère que nombre de ces combattants provenaient d’Europe de l’Ouest et du Nord, des steppes et du Caucase.
Au VIIIesiècle avant notre ère, les Grecs et les Phéniciens établissent des colonies en Méditerranée occidentale. Très vite, des tensions s’établissent entre cités grecques, étrusques et phéniciennes, même si leurs populations se mêlent dans les ports, où elles côtoient les locaux: en Sicile, les Sicules (est), les Sicanes (centre) et les Élymes (ouest). Tandis que les Puniques investissent la Sicile occidentale, les Grecs multiplient les colonies en Sicile orientale. Sur la côte nord, leur influence s’étend jusqu’à Himère, une ville fondée vers 684, qui voisine avec des communautés sicanes et puniques. En 480 avant notre ère, le Carthaginois Hamilcar de Giscon vient assiéger Himère avec une grande armée, mais les tyrans Gélon de Syracuse et Théron d’Agrigente interviennent et il est tué devant la ville. En 409, son petit-fils Hannibal de Giscon vient le venger en assiégeant Himère, qui, cette fois, se défendant seule, perd sa liberté et disparaît définitivement de l’histoire.
Les cités grecques et puniques de Sicile étaient implantées sur les côtes des territoires des trois peuples siciliens.
© Laurie Reitsema et al./PNAS/PLS
Les chercheurs ont mis à profit les deux fosses communes laissées par ces batailles et les nécropoles d’anciens villages de l’âge du Fer (après 950 avant notre ère) pour étudier les origines des habitants de la région d’Himère, de ses habitants et de ses soldats. Pour cela, ils se sont procuré des échantillons d’os contenant du matériel génétique de 21 habitants des villages sicanes, de 12 civils d’Himère, de 16 soldats morts à la bataille de 480 et de 5 soldats morts pendant celle de 409. Après avoir employé une technique de capture et de séquençage à haut débit pour obtenir des séquences d’ADN nucléaire (issu du noyau des cellules) couvrant 1,2million de paires de bases, ils y ont choisi 10000 paires de nucléotides afin de définir des profils génétiques à comparer. À l’aide d’une banque de données génétiques, les chercheurs ont aussi préparé les profils de 96 Italiens, Grecs continentaux et Crétois contemporains de façon à pouvoir situer les individus anciens étudiés dans le contexte méditerranéen. Ils ont aussi estimé les taux de métissage à l’origine des individus à l’aide d’un logiciel spécifique (Admixture), prenant en compte les gènes de 1900 de nos contemporains et de 2453 individus anciens.
Comment faire parler tous ces résultats? Considérant les valeurs définissant les profils génétiques (telle paire de base ou telle autre) comme autant de variables aléatoires, les chercheurs ont défini le plan des deux composantes principales, c’est-à-dire deux variables aléatoires combinées de façon à les rendre le moins covariantes possible. Dans ce plan, ils ont placé les points représentant les individus de leur échantillon de population en regard de ceux représentant les Européens depuis le Néolithique moyen (5000-4500 avant notre ère) jusqu’à la période hellénistique (jusqu’en 31 avant notre ère).
Dans l’analyse en composantes principales réalisée par les chercheurs, la plupart des habitants d’Himère sont des locaux ou des Grecs, éventuellement métissés avec les locaux, mais 9 individus provenaient de régions lointaines de l’Europe et des steppes.
© Laurie Reitsema et al./PNAS/PLS
Il en ressort d’abord que les points représentant les Sicanes de l’âge du Fer forment un nuage de points distinct de celui représentant les habitants d’Himère. Les profils génétiques de ces Siciliens ressemblent à ceux des autres Européens, mais une certaine différence avec les Sicanes de l’âge du Bronze – mal connus – est notable. Un flux génique d’origine non sicilienne a-t-il renforcé les Sicanes après l’âge du Bronze (avant 950 avant notre ère)? Un flux ibérique? Des indices archéologiques et les déclarations d’historiens de l’Antiquité postérieurs écrivant bien après l’âge du Bronze vont dans ce sens, sans qu’il soit possible d’en être sûr.
L’analyse des profils génétiques de 12 individus considérés comme des civils suggère des origines en Méditerranée centrale ou orientale, en d’autres termes soit de Grèce continentale, soit de la mer Égée. L’un d’entre eux a une forte composante sicane et une autre nord-africaine, ce qui suggère un ancêtre punique ou sarde (une composante nord-africaine ancienne existe chez les Sardes). Les profils de 4 individus incorporent une petite composante présente chez les Puniques ou les Proches-Orientaux. Toutefois, dans l’ensemble, ces profils génétiques de civils suggèrent surtout des ancêtres venus de la mer Égée, donc plausiblement grecs, même si un certain mélange avec des locaux et les Puniques voisins est envisageable. Ces constatations sont compatibles avec ce que l’on sait des colonies grecques, où Grecs, locaux et porteurs d’autres cultures se mélangeaient.
Sept des points représentant les 16 soldats morts en 480 et les 5 morts représentant ceux morts en 409 s’amassent avec ceux représentant les Grecs. Leurs profils génétiques montrent qu’ils ont soit des ancêtres grecs et sicanes soit seulement des ancêtres grecs, ce qui suggère que le gros des combattants d’Himères étaient grecs.
Pour autant, les points représentant 9 des soldats morts en 480 forment 4 groupes distincts, proches des points représentant pour 3 d’entre eux les Européens de l’âge du fer d’Europe de l’Ouest (des Gaulois?), pour deux autres de l’est de la Baltique (des proto-Baltes?), pour deux autres du Caucase et pour les deux derniers des steppes eurasiennes (des nomades des steppes?). Les chercheurs ont corrélé ces constatations avec la mesure de rapports entre les proportions d’isotopes lourds et légers du strontium (87Sr/86Sr) et de l’oxygène (18O/160). Ces rapports isotopiques dépendent de la géologie et donc de l’hydrologie locales (strontium) et de la température (oxygène). Comme ces isotopes se fixent dans les dents pendant l’enfance, ils constituent des traceurs d’origine. Il s’avère que tous les soldats à profils génétiques grecs ont grandi dans la région d’Himère ou du moins en Sicile, tandis que tous les soldats à profils génétique nord- ou est-européens ont grandi sur des substrats géologiques plus anciens que celui d’Himère et à des altitudes et/ou latitudes plus grandes, donc plus froides. Nous apprenons ainsi que les armées grecques employaient des guerriers mercenaires d’origines diverses, peut-être parce qu’ils pouvaient faire bon usage de leurs divers styles de combat.
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