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Pourquoi dans l'Egypte antique les personnages sont-ils représentés de profil ?
Pourquoi dans l'Egypte antique les personnages sont-ils représentés de profil ?
"Pourquoi les anciens Egyptiens présentaient-ils toujours dans leurs peintures les personnages de profil et non de face ?", nous demande un lecteur sur notre page Facebook. C'est notre question de la semaine.
Relief du pharaon égyptien Séthi Ier (1306-1290 avant JC).
"Pourquoi les anciens Egyptiens présentaient-ils toujours dans leurs peintures les personnages de profil et non de face ?" nous demande Salam Nébie sur notre page Facbook. Merci à tous pour votre participation à notre "question de la semaine".
Une version purement conceptuelle et la plus complète possible
La représentation égyptienne du corps humain est totalement normée. Elle intègre en un tout visuellement homogène, des jambes séparées et de profil, en marche apparente, des hanches de profil, une poitrine de face distinguant nettement les deux bras, et une tête de profil où un œil unique est pour sa part vu de face. Ce type de représentation a été appelé "aspective" par l’Égyptologie, puisqu’il nie tout concept de perspective. Mais, en fait, cette décomposition de l’être vise avant tout à en montrer une version purement conceptuelle et la plus complète possible. Elle est, par de nombreux aspects, assez proche des choix opérés par le cubisme qui avoue être influencé par l’art égyptien.
Cet aspect normatif passe en outre par des proportions spécifiques et l’utilisation d’une grille dont le nombre de divisions change suivant la période. La normalisation de chaque scène passe en effet par une délimitation marquée par un "sol" et par un "ciel" et une division de chaque tableau en registres et de ces registres en scènes. La hauteur de l’unité principale correspond à la distance entre le sol et la cheville. La codification est à la fois complexe et complète : le pubis se situe à 9,5 cadrats (carreaux) de hauteur et au centre du corps. La tête occupe trois cadrats, l’épaule se trouvant à 16 cadrats du sol et le genou à six. De façon étonnante, le niveau supérieur de cette codification ne se trouve pas en haut de la tête, mais au niveau du front, fixant la taille codifiée de la figure à 18 cadrats.
Tablette de scribe-dessinateur montrant une figure assise de Thoutmosis III. © British Museum
Ces figures parfaitement proportionnées sont mises en place à l’aide de grilles préparatoires depuis au moins le Moyen Empire et la 12e Dynastie. Mais on en connaît des exemples dès l’Ancien Empire et la première formulation de l’art égyptien. Dans le cas des figures les plus importantes, la grille principale peut être divisée en une grille secondaire plus fine, permettant une mise en place plus détaillée.
L'utilisation de cette technique n'est jamais aussi systématique qu’on a voulu le dire
Pourtant, l’utilisation de cette technique n’est jamais aussi systématique qu’on a voulu le dire. Les figures peuvent être mises en place en utilisant les lignes de registre et des lignes secondaires qui permettent d’obtenir de façon plus simple et libre le respect d’une approche normative.
Plafond inachevé d’une tombe thébaine montrant la grille préliminaire. © LAMS/MAFTO CNRS
Dans une même chapelle, une véritable grille modulaire peut être utilisée pour la mise en place d’une scène, alors que, tout près, le dessinateur se contentera de lignes guides. La grille n’est qu’un moyen d’éviter des erreurs grossières et d’achever une sensation d’harmonie et de régularité. Il s’agit d’un guide plus que d’un canon, bien que l’ensemble de la composition applique de façon presque inconsciente des mesures faisant référence à la réalité anatomique du corps humain : doigt, palme, coudée, pied, etc.
Projet de plafond peint sur éclat de calcaire. Musée du Caire. © FTO CNRS
Ces lignes directrices pouvaient être tracées à la règle, mais dans la plupart des cas, elles étaient obtenues par le biais d’une cordelette trempée dans une peinture rouge, tendue sur la surface et tout simplement claquée contre cette dernière, cette action laissant derrière elle gouttelettes et autres dégoulinures. Les grilles ainsi obtenues ne sont donc pas d’une précision mathématique. Il est même possible de dire qu’elles sont souvent espacées de façon inégale. Ces grilles n’étaient pas faites pour être vues et devaient disparaître une fois la peinture achevée, ce qui n’est pourtant presque jamais le cas. Le défunt faisait construire sa chapelle funéraire durant son existence. Après son décès, malgré leur piété filiale, ses descendants ne se sentaient nullement obligés de continuer ces dépenses somptuaires, tout occupés qu’ils étaient à envisager la réalisation de leurs propres monuments. Mais c’est surtout la disparition de certains pigments peu adhérents qui permet de retrouver des traces de la grille préliminaire dans bon nombre de compositions parfaitement achevées.
Dans tous les cas, le choix d’utiliser une approche normative est volontaire et éclairé. Une chapelle où il est difficile de trouver trace d’une grille de proportion pourra montrer une régularité mathématique dans la mise en place des proportions, alors même que la grille utilisée dans un autre monument contemporain n’empêchera pas la présence d’irrégularités dans la hauteur respective des figures.
Peinture inachevée représentant un troupeau d’âne. © LAMS/MAFTO CNRS
Le travail de scribes-dessinateurs plus que celui de peintres
Au début de la 18e Dynastie, les figures présentent un aspect allongé. Sous le règne de la reine Hatshepsout apparaît une grille modulaire plus classique. Le corps humain va alors être décrit suivant une grille comprenant 18 cadrats. Durant la 26e Dynastie, une nouvelle grille de 21 cadrats sera utilisée, sans pour autant changer de façon dramatique l’allure des personnages. Il ne s’agit alors sans doute que d’un retour à la grille utilisée durant l’Ancien Empire.
La mise en place des esquisses préliminaires est apparemment faite par des scribes-dessinateurs plus que des peintres. Elles sont en général réalisées directement sur la couche d’enduit égalisatrice. C’est aussi le cas des contours finaux et des détails, mais rien ne nous dit qui est chargé de mettre en œuvre la grille modulaire ou les lignes servant de guide aux scribes-dessinateurs. S’il semble exclu que des "peintres" puissent dessiner, rien n’empêchait vraisemblablement que des scribes des contours puissent peindre et mener ces travaux de A à Z.
Dessin préparatoire d’une scène du rituel de l’Ouverture de la Bouche montrant des lignes directrices. © LAMS/MAFTO CNRS.
Il est en outre impossible d’estimer avec précision le nombre d’artistes présents sur le chantier d’une chapelle funéraire. Les documents conservés mentionnent par exemple la présence de deux scribes-dessinateurs durant une journée, alors que leur nombre peut passer à dix un autre jour, il est vrai dans une grande tombe comme celle de Senenmout, architecte et chef de travaux proche de la reine Hatshepsout.
Dessin préparatoire à main levée. Tombe de Roy et Shouroy. © LAMS/MAFTO CNRS
Sous Thoutmosis IV et Amenhotep III (18e Dynastie), les grilles modulaires semblent peu à peu délaissées pour une mise en place plus souple. Mais elles demeurent usuelles pour les scènes les plus importantes montrant le défunt occupé à faire offrande de part et d’autre de la porte.
© LAMS/MAFTO CNRS
Par Philippe Martinez et Philippe Walter (avec Lise Loumé)
www.sciencesetavenir.fr
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